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Nos lectures

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La Part des cendres  
Emmanuelle Favier

Incroyable roman ! Les tribulations d’un petit coffret dans lequel Sophie Rostopchine, qui n’était pas encore la comtesse de Ségur, range quelques pages d’un journal tenu lors du voyage qui la conduit loin de Moscou ravagé par un incendie en 1812, son père étant alors gouverneur de la ville. 

Ce petit coffret n’est qu’un prétexte pour dérouler une histoire passionnante qui s’étend sur deux siècles et s’intéresse à un sujet essentiel … et souvent épineux :  la spoliation des œuvres d’art. 

Avec une habileté rare, beaucoup de finesse et d’intelligence (et une documentation impressionnante !), Emmanuelle Favier entremêle faits historiques et faits imaginaires, personnages de fiction et personnages réels, dans un incroyable enchaînement de correspondances et de coïncidences. Au fil des époques, nous croiserons la comtesse de Ségur et ses descendants, Marcel Bleustein-Blanchet, Marguerite Yourcenar, Rose Valand et Jacques Jaujard qui ont risqué leur vie pour sauver ce qui pouvait l’être de la folie nazie. 

A travers la spoliation des œuvres d’art, Emmanuelle Favier interroge ce que sont l’héritage, la transmission, la valeur accordée à un objet ou à un texte, ce qui fait leur prix et ce qu’ils racontent d’une histoire, d’une culture, d’une époque. Il est beaucoup question de peinture mais aussi de littérature, et de la place des femmes dans une Histoire culturelle qui les a trop souvent effacées.

Un livre ambitieux qui réussit la prouesse d’être à la hauteur de son ambition, écrit d’une plume allègre qui joue de la langue et de la syntaxe avec une belle aisance.

 

(Albin Michel, 22,90 €)

 

 

 

 

Le Cœur arrière,

Arnaud Dudek  

On a découvert Arnaud Dudek avec Laisser des traces (Anne Carrière) en 2019. Une lecture qui nous a donné envie de lire ses autres livres. Et là, bingo ! on est tombé sous le charme, on a tout pris, tout aimé : le ton, la sensibilité, le regard un peu décalé, l’élégante légèreté pour dire les choses graves, l’humour… 

Tout ce qu’on retrouve dans ce Cœur arrière paru aux éditions Les Avrils (nouvelle maison dont on salue la pertinence des premiers choix). Le cœur de Victor, petit bonhomme pas trop gâté par la vie qui tombe en arrêt devant un athlète dans un jardin public. Puis se prend à rêver devant une compétition d’athlétisme à la télévision. Le triple saut, voilà ce qui fascine Victor, au point d’entreprendre un apprentissage qui, au vu de ses capacités, ne tardera pas à viser le professionnalisme. 

Le sport exige quelques sacrifices. Quitter son père qui l’élève seul et peine à boucler les fins de mois. Se frotter à la figure centrale de l’entraîneur qui souffle le chaud et le froid. Subir la violence psychologique, la pression permanente. Se lancer des défis… .Et supporter tout ça parce qu’au bout il y a l’élan, et l’envol où l’espace d’un instant on s’affranchit des lois de la pesanteur. 

Le jeu en vaut-il la chandelle ? 

C’est l’une des questions que pose ce roman plein de finesse et à laquelle est confronté Victor que l’on suit pendant un peu plus de dix ans, le temps de rêver, de grandir, de connaitre réussites et échecs, de se frotter aux autres, de murir, d’aimer, de douter… Arnaud Dudek trace de son héros un portrait tout en nuances, à l’instar des autres personnages de ce livre qui tous échappent à la caricature et dévient d’une trajectoire imposée par leur assignation sociale. Ce n’est pas le moindre talent de l’auteur que de rester écrivain quand tant d’autres se croient sociologues. Il ne confond pas personnages et sujet d’études, ne les toise pas, les observe avec tendresse et leur laisse une chance d’exister en dehors des schémas tout tracés. L’une des grandes forces de Dudek, c’est son humilité – qualité d’autant plus remarquable qu’elle est rare. 

 

(Les Avrils, 19 €)

 

 

Mes fantômes et moi

Gabriel Byrne

Le parcours d’un enfant issu d’une famille modeste dans la banlieue de Dublin. Discret, effacé, rêveur, il a du mal à trouver sa voie, à 11 ans s’imagine séminariste avant de déchanter, s’essaie à la plomberie, fait la plonge dans un restaurant, se trompe, s’égare, boit trop, traverse des moments de dépression, s’enfuit de Cannes en plein triomphe de Usual suspects … Car, fil rouge de cette vie qui se cherche, il y a le cinéma et puis le théâtre où malgré sa timidité il va se révéler. On le découvre dans Excalibur, Miller’s crossing, plus tard en psychothérapeute bienveillant dans In Treatment, version américaine de En thérapie. 

Sentiment d’imposture, doute sur soi, on est loin des mémoires hollywoodiennes pleines de paillettes. Quand Gabriel Byrne parle des grands qu’il croise, avec qui il tourne (Laurence Oliver, Richard Burton…), c’est toujours avec admiration et respect – les mêmes qu’il manifeste envers les voisins de sa jeunesse.  

Il y a dans ce texte plein de poésie beaucoup de douceur et de doutes, de la nostalgie et de la tendresse, une grande sincérité et une humilité rare qui font de ces mémoires un délice de lecture.

 

(Sabine Weispieser, 22 €)

 

 

 

Sa préférée

Sarah Jollien-Fardel

Dans la maison familiale, le père fait régner la terreur. Les coups pleuvent, les cris, les menaces, les insultes ravagent tout. Le village du Valais ferme les yeux et les oreilles, la mère et la sœur subissent, Jeanne tente de tenir tête.

Partie à Lausanne, elle entreprend des études, noue des relations, découvre le bonheur de nager. « … mon souffle, comprimé depuis l’enfance, s’allongeait. Je devenais vivante. », … Mais comment vivre quand l’âme et la chair ont été marquées de la plus épouvantable manière par tout ce qui humilie, rabaisse, détruit ? Jeanne se vit comme « la fille du monstre », cet homme à qui elle ne pardonnera jamais, ce qu’il a fait, ce qu’il a transmis, et dont elle hérite malgré elle.  

Le roman âpre, dénué de toute sensiblerie, dessine une anatomie de la violence qui glace et interroge. Loin des dégoulinades résilientes, Jeanne regarde le mal en face. Et c’est sans appel, et sans recours. Difficile d’oublier sa voix.

 

(Sabine Wespieser éditeur, 20 €)

 

 

Song book

Carole Zalberg 

Education sentimentale d’une jeune fille qui ne veut pas être rangée malgré elle, Song book est une ballade qui chante l’adolescence, la découverte de la sexualité et de l’amour qu’on voudrait toujours corps à cœur, les appareils dentaires et l’excitation des premiers slows, les amitiés et les élans, les déceptions, les blessures et la solitude.

On retrouve ici l’écriture tissée, tressée de Carole Zalberg, sans un mot de trop, une écriture « à l’os » qui chasse le superflu pour toucher le cœur des choses, des êtres, des sentiments. Une écriture dense, rythmée par la bande-son qui a accompagné ses années d’apprentissage et qui vient titiller nos propres souvenirs. A la fois cru et pudique, loin de tout cliché, Song book reprend des thèmes chers à l’autrice : la construction de soi, le pouvoir des rencontres mauvaises ou bonnes, la difficulté et la joie de tracer son chemin, entre rêve et désarroi pour rester dans le mouvement de la vie sans renoncer ni à croire ni à aimer. 

En exergue à ce texte émouvant et exigeant, où les chapitres alternent le je et le tu, comme un dialogue entre l’adolescente d’hier et la femme d’aujourd’hui, ces mots d’Ocean Vuong : « On dit qu’une chanson peut-être un pont, Maman. Mais je dis que c’est aussi le sol sur lequel nous nous tenons. »

 

(L’Arbre à parole, 16  €)

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